Bruits de dents

La vision d’un dentiste vous fait grincer des dents ? Vous grincez des dents même la nuit ? Votre mâchoire craque ou claque quand vous mangez vos céréales le matin ? Eh bien nous allons parler de tout ça : des grincements, des claquements, des crissements et de leurs conséquences sur vos dents et sur l’articulation de la mâchoire.

Pour commencer et pour faciliter la compréhension de la vidéo, nous allons définir deux choses. La première est l’articulation temporo-mandibulaire que l’on appelle souvent ATM et qui correspond à la jointure entre la mandibule (c’est-à-cire la mâchoire du bas) à la base de crâne : c’est l’articulation qui vous permet….d’articuler, mais aussi de manger, de déglutir, de rester bouche bée, de….

Le second terme à définit est l’occlusion qui est aussi une articulation. On peut même considérer que c’est l’articulation la plus complexe du corps humain étant donné qu’elle correspond à celle de 32 dents présentant des contacts en trois points sur chaque cuspide qui mord dans chaque fosse (pour les dents du fond), et des contacts de chaque rebord de dents cognant sur chaque face (pour les dents de devant). Et ces deux mots, ATM et occlusion, vont revenir souvent dans ce texte.

D’autant que ces deux articulations sont reliées entre elles : quand des muscles vont mobiliser la mâchoire, c’est le plus souvent pour que les dents rentrent en contact, ou bien pour relâcher ces contacts.

Le bruxisme est une parafonction qui correspond au fait de grincer des dents ou de les serrer fortement. Le terme de parafonction signifie en gros que ce n’est pas anormal de le faire de temps en temps, mais que ça le devient de le faire plus que de raison.

Si normalement, sur 24 heures, on serre 10 à 15 minutes les dents en tout, ce temps est largement augmenté chez les bruxomanes. Et si je précise par 24h, et non par jour, c’est qu’on considère qu’il existe deux types de bruxisme : nocturne (donc inconscient) et diurne (sur lequel on peut davantage agir).

Le bruxisme nocturne ou bruxisme du sommeil reste quand même le plus courant. Si plus de la moitié de la population a une activité musculaire nocturne des muscles masticateurs, le fait que ça devienne pathologique et que l’on parle alors de bruxisme concerne 6 % de la population : là, on parle de contractions musculaires répétitives et inconscientes, associés à une usure des dents et des douleurs articulaires et musculaires. Alors, attention, on ne bruxe pas durant toute la nuit : ça suit les phases du sommeil (et essentiellement la phase 2 du sommeil lent)

Ce bruxisme touche de façon égalitaire les hommes et les femmes, avant de diminuer fortement après 50 ans.

Il va avoir des répercussions sur la bouche : on pense en premier à l’usure des dents, et aux problèmes de l’ATM (que l’on va nommer aujourd’hui après mille changements de noms, DTM pour désordres temporomandibulaires), mais aussi une fragilisation du parodonte, c’est-à-dire des tissus de soutien de la dent. Et tout cela va être à la fois la cause et la conséquence d’une diminution de la dimension verticale d’occlusion, c’est-à-dire la diminution du volume de l’étage inférieur de la face (en gros, l’espace entre le nez et le menton).

Si on a longtemps considéré le stress et les facteurs psychosociaux au sens large comme causes principales du bruxisme du sommeil, on semble plutôt aujourd’hui diminuer l’importance du stress, et s’orienter vers un rôle important des systèmes nerveux central et périphérique, et, à une moindre mesure, de la respiration.

Certains médicaments peuvent jouer un rôle dans le bruxisme comme certains antidépresseurs (sérotoninergiques) par exemple.

A ce jour, il n’existe pas de thérapie efficace pour traiter le bruxisme du sommeil. Si certains traitements peuvent aider comme la relaxation, les gouttières, les thérapies cognitivocomportementales, voire du biofeedback (qui consiste à faire prendre conscience au patient de son activité musculaire en la visualisant à l’aide d’appareils de mesure électronique), aucune n’est vraiment supérieure aux autres en termes d’efficacité.

Si l’on fait un focus sur les gouttières, qui sont pourtant très utilisées par les dentistes, vont être utiles pour protéger les dents et l’ATM, mais pas dans l’arrêt du bruxisme, ou alors de manière transitoire et très variable selon le patient. Les médicaments dans leur ensemble, en tout cas ceux étudiés jusqu’en 2014, semblent ne rien apporter.

Alors, si le système nerveux et ses complexes cascades chimiques sont impliquées dans la cause du bruxisme nocturne, existe-t-il des traitements médicamenteux pour agir dessus ? Si certains médicaments, notamment des benzodiazépines, ont une efficacité prouvée, l’exposition à leurs effets indésirables est trop importante par rapport à leur intérêt, ce qui nous amène à les réserver à certains cas sévères.

Et puisque nous sommes dans les médicaments, l’injection de toxine botulique (que vous connaissez certainement sous le nom de Botox°) peut être proposée dans les cas sévères, afin de relâcher la tension musculaire autour des ATM.

Le bruxisme diurne, celui de la journée ou bruxisme de l’éveil, est un peu différent, déjà parce qu’il peut être limité dans le temps, à des périodes de stress très marquées. Le diagnostic est fait à aussi avec ce que dit le patient, mais c’est parfois une activité qui peut passer inaperçue : par exemple, si dans les premiers temps grincer provoque un bruit, celui-ci peut disparaitre avec le temps et ne plus jouer son rôle de signal d’alarme. Mais le dentiste va surtout constater les conséquences du bruxisme sur les dents et la bouche, et si besoin, le différencier du bruxisme nocturne à l’aide d’un électromyogramme. Quand on parle de conséquences sur les dents et notamment d’abrasion, si on rentre un peu plus dans le détail, on s’aperçoit qu’il existe différents types d’usure : les dents peuvent s’abraser, s’éroder, mais on va aussi parfois parler d’attrition et d’abfraction. Ca peut sembler complexe, mais avec l’image, ce sera beaucoup plus clair : l’attrition, c’est le phénomène principal, celui qui a tendance à rendre planes les surfaces des dents qui servent à mâcher, à écraser les aliments ; l’abrasion n’est pas due aux contacts des dents entre elles, mais des dents avec les aliments absorbés, ou bien encore avec une brosse à dents ou un dentifrice un peu trop agressif ; l’abfraction est une usure qui se fait par transmission des contraintes physiques, avec des faces d’usure qui apparaissent donc à un autre endroit que la zone de contact ; et enfin l’érosion est une usure plus chimique que physique, donc celle que l’on retrouve dans la surconsommation de sodas, d’energy-drink, et d’aliments acides, mais aussi dans les troubles du comportement alimentaire ou dans les reflux gastro-œsophagien dont nous avions déjà parlé là (https://youtu.be/gt7FtMA1fNw). L’usure qui va être la conséquence du bruxisme est surtout l’attrition, mais aussi l’abfraction. Cependant, si le bruxisme est associé à des causes d’érosion ou d’abrasion, alors les conséquences sont bien plus graves.

Contrairement à une idée reçue, le bruxisme ne semble pas être en relation avec une malocclusion, c’est-à-dire avec des contacts imparfaits des dents entre elles. C’est pourquoi les retouches des points de contact des dents ne sont pas une option à envisager pour traiter le bruxisme.

Un point primordial dans la prise en charge du bruxisme est déjà de sensibiliser le patient à ce problème, puis de l’inviter à surveiller son comportement. Et ma petite astuce à moi : quand vous sentez que vous êtes en train de serrer les dents, faites-le sur un crayon papier (ou de bois ou gris selon le vocabulaire de votre région d’origine) pendant 1 à 2 minutes. Après avoir forcé vos muscles à se contracter tout en faisant en sorte que les contraintes soient supportées par la souplesse du crayon, alors sans effort, ces mêmes muscles se relâcheront. Là non plus, ça ne guérira pas votre bruxisme, mais ça permet de détendre sur le moment.

Mais, attention, les troubles de l’ATM ne sont pas toujours en relation avec le bruxisme, et ne vont alors pas être traitées de la même manière. C’est l’occasion de se focaliser sur ce que peut apporter la kinésithérapie. Concernant le bruxisme en lui-même, pas grand-chose. En revanche, elle va pouvoir avoir un intérêt dans les conséquences musculaires : douleurs, limitation de l’ouverture de la bouche, contraction musculaire involontaire, maux de tête, douleurs à l’oreille. Mais attention, les différents massages, électrostimulations et compresses chaudes, même s’ils peuvent être agréables (les massages et la chaleur, pas l’électricité !) ne vont pas apporter grand-chose : ça va éventuellement diminuer les symptômes durant quelques heures, mais guère plus.

 Vous pourrez compter essentiellement sur les exercices que vous montrera le kiné et que vous reproduirez chez vous, régulièrement. Mais aussi sur les techniques cognitivocomportementales qu’il pourra vous proposer, les conseils qu’il pourra vous donner en termes de relaxation, et de comportement de santé à adopter pour éviter ce qui saura favoriser ou aggraver le bruxisme. Car, par exemple, viser à améliorer son sommeil, diminuer la quantité de café, éviter de ronger ses ongles et cesser de mâcher du chewing-gum toute la journée peut présenter un intérêt.

Et si la chirurgie a fait de nets progrès ces dix dernières années, elle ne doit être réservée qu’à des cas particuliers.

Quant aux bruits comme les claquements, les craquements, les grincements ou les crissements, ceux-ci sont liés au mouvement du ménisque qui se trouve dans l’articulation. Normalement, ce ménisque doit rester dans l’ATM lors des mouvements de la mâchoire du bas (la mandibule). Mais, à force d’usure, celui-ci peut avoir du mal à jouer son rôle, voire se faire la malle pendant les mouvements, souvent lors de la fermeture.

Les thérapeutiques n’étant pas formidables pour faire disparaitre ces bruits, il est préférable de prendre en charge le problème dès son apparition et ainsi pouvoir agir sur le bruxisme ou sur une autre cause.

Si le bruxisme touche principalement les adultes, il peut aussi concerner les enfants. Les enfants touchés ne seront pas forcément des adultes bruxomanes et la réciproque est tout aussi fausse, ou vraie, bref vous m’avez compris. Chez les enfants, les principales causes sont le stress et les troubles du sommeil, mais aussi la respiration buccale (c’est-à-dire de ne pas respirer par le nez) qui va avoir en plus d’autres conséquences sur la croissance osseuse et au niveau de la santé générale. Ce bruxisme finit souvent par rentrer dans l’ordre, mais peut être aussi pris en charge de nombreuses manières, médicamenteuses ou non. Mais, comme souvent en santé, agir sur les causes est certainement le plus simple.

Il est à noter que le bruxisme des enfants n’est souvent pas en relation avec des troubles de l’ATM.

Le problème du bruxisme n’est pas spécialement dentaire, mais bien plus musculaire. Au vu des conséquences sur la bouche et sur l’ATM, c’est un problème à prendre en charge le plus tôt possible, et la première étape est déjà d’y être sensibilisé. Vous pouvez agir dessus en essayant de favoriser une hygiène de sommeil correcte, et en privilégiant des techniques de relaxation, comme des exercices physiques et respiratoires, par exemple.

Les dents ne sont qu’exceptionnellement la cause du bruxisme, mais en subissent très souvent les conséquences.

Sources accessibles :

http://www.ufsbd.fr/wp-content/uploads/2019/03/Fiche-Bruxisme_080219.pdf

Sources plus pointues :

https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/30237554/

http://sommeil.univ-lyon1.fr/articles/lin/parod_99/print.php

https://jcda.ca/article/f2

https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC6287494/

Usure : https://www.researchgate.net/profile/Dincau-Emmanuel/publication/325930211_Usure_dentaire_origines_et_formes_des_lesions/links/5b2d0e254585150d23c34c72/Usure-dentaire-origines-et-formes-des-lesions.pdf

Gouttières : https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/17943862/

Malocclusion : https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/32246486/

Pharmacothérapie : https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/25338726/

Cochrane : https://www.cochrane.org/CD005578/MOVEMENT_pharmacotherapy-for-tooth-grinding-or-clenching-during-the-sleep-sleep-bruxism et https://www.cochrane.org/CD005514/ORAL_occlusal-splints-for-treating-sleep-bruxism-tooth-grinding

Bruits : https://www.information-dentaire.fr/wp-content/uploads/2020/11/3-claquements-atm-6-raisons.pdf

Sommeil comportemental et bruxisme infantile : https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/28396971/