Sexe et santé orale

Commençons par le début. Le tout début : la bouche est un organe sexuel. Un organe sensuel, érotique, l’organe de nombreuses autres fonctions, mais aussi un organe sexuel. Pour dire oui, pour stimuler le désir, pour prendre du plaisir ou en donner. Et c’est sous cet angle qu’aujourd’hui, dans cet épisode, nous allons observer notre bouche.

Dès la naissance, la bouche et en particulier les lèvres, sont les marques de l’affection que le parent porte à l’enfant qu’il rencontre. Ce sera une première occasion de transmettre des germes, des bactéries, qui stimuleront le système immunitaire du nouveau-né.

Puis les baisers vont se poursuivre, cette fois avec la réciprocité, de l’enfant vers le parent, marque d’affection, mais surtout reproduction des gestes appris par les adultes, avant d’expérimenter les baisers avec les autres enfants, d’abord comme un jeu et une découverte de son propre corps, puis avec l’adolescence comme un premier geste érotique relationnel.

Si le baiser va d’abord concerner les lèvres uniquement, sa place érotique va s’accentuer avec l’introduction de la langue et la baignade dans la salive : échange d’émotions, échange de sensations, et de manière plus pragmatique, échange de bactéries. Mais nous reviendrons sur ces dernières plus tard.

A l’âge du jeune adulte, d’autres lèvres vont éventuellement faire leur apparition dans la démonstration du désir et la recherche du plaisir, mais la bouche va conserver une certaine place : dans le baiser toujours, qui ne va cependant plus se focaliser sur la seule bouche, pour stimuler d’autres parties du corps de l’autre, particulièrement les zones érogènes (nuque, seins, oreilles, cuisses, etc.), mais aussi dans les rapports appelés buccogénitaux : l’anulingus, le cunnilingus, la fellation.

Tout un vocabulaire va joindre la bouche et le sexe, en empruntant le champ lexical de l’alimentation et de la gourmandise. Que ce soit mignon comme des lèvres appetissantes, glouton comme «  je vais te dévorer », grossier comme « te bouffer », ou très imagé comme « la tarte aux poils » ou « la sucette ». La chanson de Colette Renard en est un bon exemple. Et la bouche continue d’être utilisée dans la dimension érotique et sensuelle pour baiser, mordiller, lécher, croquer, sucer, dévorer, goûter, bref : pour mettre l’eau à la bouche.

Jusqu’en 1952, le sexe oral était considéré comme une pratique déviante dans le Diagnostical and statistical manual of mental disorders, plus connu sous le nom de DSM, l’ouvrage de référence des classifications des pathologies psychiatriques.

Avec les années 60 et 70, période de libération sexuelle en Occident, les pratiques visant le plaisir et non uniquement la reproduction se sont répandues. Elles ont pris place dans les discussions, dans la culture populaire comme sous la plume d’Anaïs Ninn, d’Henry Miller, dans les essais comme chez Simone de Beauvoir, Wilhelm Reich ou Herbert Marcuse, puis dans le cinéma, en premier lieu pornographique qui a pignon sur rue dans les années 70. Nous y reviendrons plus tard.

Le cinéma conventionnel donne lui aussi de la place au sexe, et notamment orogénitaux, avec L’Empire des sens au Japon, Je suis curieuse en Suède (où la révolution sexuelle a été précoce et a débuté dès les années 50), Le diable au corps de Bellochio, d’après le roman de Radiguet avec un fellation, puis plus récemment beaucoup de cunilingus avec Romance, Shortbus, KenPark, et des cinéastes qui en ont fait leur marque de fabrique : le grand Pédro Almodovar (En chair et en os, Talon aiguille), les frères Larrieu (Les derniers jours de la fin du monde, 21 nuits avec Pattie) ou le sulfureux Abdellatif Kechiche  avec La vie d’Adèle, puis Mektoub, my love : intermezzo et son cunnilingus de 15 minutes, qui concurrence directement la fellation in extenso de Chloe Sevigny vécue et filmée par Vincent Gallo. L’anulingus quant à lui est délaissé, tout en bas des marches des festivals et des salles de ciné.

Malgré tout cela, la bouche n’est parfois pas considérée, dans l’imaginaire populaire, comme un organe sexuel, ce que l’on constate dans la célèbre phrase déplacée « sucer, ce n’est pas tromper ». Ainsi, le sexe oral est souvent considéré comme plus safe, plus sécurisé vis-à-vis de certaines pathologies. C’est une des raisons qui fait que l’épidémie de Sida dans les années 80 a entraîné une diminution de la fréquence de rapports génitaux au profit de rapports orogénitaux, cela avant l’observance généralisée du port du préservatif, puis l’apparition de moyens de prévention efficaces. Pourtant le sexe oral est l’occasion de se retrouver confronté à de nombreux fluides : salive, sperme, sécrétions vaginales, menstruations, liquide séminal, etc. autant de moyens de transport pour d’éventuels pathogènes. Car oui, les rapports orogénitaux sont l’occasion d’offrir ou de recevoir des infections sexuellement transmissibles (ou IST). Dans une bouche saine, le risque est très faible pour le VIH, nul pour les trichomonas, mais élevé pour l’herpès, l’hépatite B, la syphilis, les gonocoques, les chlamydiae. Les risques de transmission sont d’autant plus élevés dans une bouche abimée ou présentant des plaies. J’en profite pour vous rappelez qu’une personne infectée par le VIH, à partir du moment qu’elle bénéficie d’un traitement efficace, ne peut pas transmettre le virus : tous les rapports sexuels sont alors permis, anal comme orogénital.

Certaines IST se transmettent par la bouche, comme la mononucléose infectieuse, dont vous avez certainement entendu parler comme « maladie du baiser ». Cette maladie qui touche souvent les adolescents, est due à un virus de la famille des Herpès : le virus Epstein-Barr. Elle se transmet lors d’un échange de salive, c’est à dire lors d’un baiser, d’une pelle, d’un patin. Tout ça pour dire que les organes génitaux ne sont pas toujours nécessaires pour partager une IST.

Nous allons nous arrêter deux secondes sur une IST sur laquelle nous entendons tout et n’importe quoi et dont les conséquences sur la sphère orale peuvent peser lourdement. Dans plusieurs articles de journaux ces dernières années, nous avons pu lire que les fellations étaient responsables de cancers de la sphère orale. La cause ? Un papillomavirus (HPV). Ce raccourci que nous avons pu lire n’a pas de sens. Si des études fiables soulignent qu’au minimum 20% des cancers oraux sont liés au papillomavirus et pourraient être évités, certaines phrases de ces études disant que la contamination par ce virus est en relation avec le comportement sexuel ont été mal interprétées, volontairement ou non. En effet, des rapports non-protégés peuvent contaminer au HPV, mais il n’est pas nécessaire que ces rapports soient orogénitaux. Il n’est même pas prouvé qu’une transmission orogénitale soit possible. En revanche, il est possible de se protéger de ce virus par un vaccin qui a fait preuve de son efficacité, que l’on soit un homme ou une femme, et ainsi réduire le risque de cancer oral. Il n’y a donc pas lieu de s’affoler ou de se priver de sexe à cause d’un papillomavirus, mais simplement de tous se faire vacciner le plus tôt possible, dès l’âge de 11 ans, pour les filles comme pour les garçons.

Alors, si les français pratiquent couramment le sexe oral (89 % des hommes et 85 % des femmes), mais que celui-ci n’est pas totalement safe, comment s’en protéger ? Lors d’une fellation par exemple, du sperme est susceptible de venir en bouche, augmentant le risque de contamination. Il est donc conseillé de ne pas garder le sperme en bouche. Si l’on souhaite se rincer la bouche, il est préférable de le faire avec de l’eau, et d’éviter tout bain de bouche du fait de leur teneur en alcool. Mais attention cet exemple de la fellation et de l’exposition à des fluides vaut aussi pour les cunnilingus et les anulingus. Tout comme il ne faut pas oublier qu’un pénis peut libérer du liquide séminal avant l’éjaculation.

Il est possible d’utiliser des moyens de protection, dont l’un  que je suis particulièrement ravi de vous présenter, vous allez comprendre pourquoi : le préservatif (pas de surprise jusque à) et la digue dentaire. Le préservatif, vous connaissez tous et c’est une bonne chose, mais la digue dentaire vous semble peut-être plus obscure. Ce que l’on appelle digue dentaire est un carré de latex originellement, utilisé pour isoler une ou plusieurs dents lors de soins afin de les protéger d’une contamination par la salive. Ca existe depuis le 19ème siècle, mais c’est utilisé couramment par les dentistes que depuis quelques dizaines d’années. Dans les années 80, les milieux lesbiens et gays ont trouvé chez les dentistes ce moyen de se protéger lors des cuni et anulingus. Placer ce carré de latex sur la vulve ou l’anus et en le maintenant pendant le rapport permet d’éviter le contact direct entre la bouche et l’organe de l’autre. Si les digues dentaires ne sont pas faciles à trouver quand on n’est pas dentiste (ce qui concerne une laaaaaaaarge partie de la population), le système D est votre ami : la découpe d’un carré de 15 cm par 15 cm dans un préservatif fera l’affaire.

Mais les bactéries ne sont pas le seul problème auquel peut se confronter le sexe oral. La littérature nous offre quelques descriptions de lésions liées à l’acte lui-même. Lors de gamahuchages « effreinés », il est possible de se léser le frein de la langue (le ligament qui le retient à sa base) à force de frottements contre les incisives du bas. C’est ce que l’on appelle aussi le syndrome du cunnilingus. Ce n’est pas grave, ça cicatrise, mais ça peut surprendre. Avant de décrire un autre problème lié à lacte, je vais vous parler d’une actrice qui est devenue célèbre du jour au lendemain. En 1972, sortait sur les écrans Deep throat (ou Gorge profonde en anglais), film très important pour les Etats-Unis de cette époque, à la recherche de liberté et de contre-culture. Dans le scénario de ce film pornographique à grand succès, le personnage principale joué par Linda Lovelace, apprend que si elle n’a pas d’orgasme lors de rapport sexuel, c’est à cause de sa particularité anatomique : son clitoris est situé au fond de la gorge. Ce synopsis est parti de la capacité de Linda Lovelace à pratiquer des fellations en amenant le pénis de son partenaire jusqu’à dans son oropharynx (ou jusqu’à la garde selon l’endroit d’où vous observez). Cette pratique était connue de la population gay, mais peu chez les hétéros. Ce film est devenu à l’époque un véritable phénomène de société : beaucoup de monde l’a vu, dans un cinéma, par curiosité, par mimétisme ou par plaisir. Cette pratique est devenue de plus en plus courante jusqu’à aujourd’hui retrouver dans les moteurs de recherches de site pornographique des catégories « deep throat » ou « gagging » (pour parler du réflexe nauséeux que peut déclencher ces pratiques). Pourquoi je vous parle de tout cela ? Tout simplement parce qu’il est de plus en plus fréquent de retrouver des hématomes du palais (en haut et au fond de la bouche) causé par des fellations profondes, parfois forcées et violentes. Ces lésions sont décrites dans la littérature depuis déjà un certain temps, chez des hommes et dans les maisons closes : quelques auteurs les ont liées à un phénomène d’aspiration sur des fellations vigoureuses et prolongées, mais la majorité parlent plus aisément d’hématomes liées au contact éventuellement violent du gland sur le palais.

La célébrité de Linda Lovelace aura été moins grande et moins importante que Deep throat. Ce nom deviendra celui de l’informateur à l’origine du scandale du Watergate, avant que Linda ne reprenne son nom de jeune fille, Boreman, pour devenir une militante anti-pornographie assidue et une critique du mythe du masochisme féminin.

Il est incontestable que la bouche EST un organe sexuel, même s’il est bien plus que ça encore. Dans cette fonction, il est primordial que la bouche soit propre et saine, que ce soit pour l’hygiène, le confort, mais aussi pour le rôle pouvant être joué dans la transmission d’IST. Cependant, il est déconseillé de se laver les dents juste avant un rapport sexuel, cela afin d’éviter de créer de microplaies de la gencive, sources potentielles de contamination.

Même si cela peut sembler contraignant et inhabituel, il est recommandé de se servir de protection aussi pour les rapports orogénitaux : préservatif ou digue dentaire.

Enfin, la muqueuse de la bouche est un organe sensible. Au-delà du consentement indispensable à tout acte sexuel, pensez à respecter le corps de votre ou vos partenaires.

Prenez-soin de vous, respectez-vous, posez toutes les questions que vous voulez, je tâcherai de répondre à tous.

Sources plus ou moins accessibles :

https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC2840968/

https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4660550/

http://www.heteroclite.org/2017/03/sexe-oral-sante-danger-39779

https://www.revmed.ch/revue-medicale-suisse/2013/revue-medicale-suisse-401/fellation-non-protegee-quels-risques

HPV et oral sex : https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/22282321/

Etude citée, mais ne parlant pas de sexe oral : https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC7286348/

Autre étude citée, mais biaisée : parle de sexe oral selon le nombre de partenaires, et sans autres éléments. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4266546/

Pas de lien entre sexe oral et cancer oraux : https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/26107371/

Oral orientation et oral health : https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/30277565/

Le baiser : https://www.cairn.info/revue-adolescence-2005-3-page-709.htm?contenu=article

Ifop, pratiques sexuelles des français : https://www.ifop.com/wp-content/uploads/2018/03/2669-1-study_file.pdf

Unesco : https://fr.unesco.org/news/pourquoi-leducation-complete-sexualite-est-importante